Récits de Sébastopol, Tolstoï
« Des centaines de corps fraîchement ensanglantés, qui, deux heures auparavant, débordaient d'espérances et de désirs variés, grands et petits, gisaient, les membres raidis, dans le vallon fleuri et couvert de rosée qui séparait le bastion des tranchées et sur le sol bien égal de la Chapelle des morts à Sébastopol. Des centaines d'hommes, avec des imprécations et des prières sur leurs lèvres desséchées, se traînaient, s'attardaient, gémissaient, les uns mêlés aux cadavres de la vallée en fleurs, les autres sur des civières, sur des lits de camp, sur le sol sanglant de l'ambulance. Et de même que les jours précédents, les éclairs de chaleur continuaient à enflammer les hauteurs du Sapoun, les étoiles scintillantes continuaient à pâlir, un blanc nuage à s'étirer du côté de la mer sombre et mugissante, à l'aurore vermeille à incendier l'orient; de longues nuées pourpres couraient à l'horizon lumineux d'azur et, comme les jours précédents, promettant la joie, l'amour et le bonheur au monde entier qui reprenait vie, l'astre puissant et magnifique émergeait. »