Le Tirailleur Républicain

La Tchétchénie, la Charia et l'ami Poutine

article de Liberation.fr

 

"La Tchétchénie soumise à la charia de Kadyrov"

 

Caucase . Le président, installé par Poutine, a justifié l'assassinat de neuf femmes au nom de la morale.

 

MOSCOU, de notre correspondante LORRAINE MILLOT

 

"L'ordre islamique fait son retour en Tchétchénie. Après avoir établi, par les armes, son autorité dans la petite république russe du Caucase nord, son jeune président, Ramzan Kadyrov, 32 ans, est en train, progressivement, d'y introduire les règles de la charia. Depuis février, la vente d'alcools forts (titrant plus de 15 %) n'est plus autorisée en Tchétchénie que deux heures par jour, entre 8 et 10 heures le matin. Les femmes travaillant dans les administrations doivent porter le foulard sur les cheveux. La vente de robes de mariages «échancrées, à l'européenne» a été interdite par le Président.

 

Et Kadyrov de prôner aussi la polygamie, pourtant interdite par la Constitution russe. «En Tchétchénie, c'est indispensable car à cause de la guerre, nous avons plus de femmes que d'hommes», a expliqué le Président, choisi par Vladimir Poutine pour tenir la république au sein de la Fédération de Russie. Déjà marié et père de sept enfants, Ramzan Kadyrov a confié dans une interview en mai dernier au magazine GQ se chercher lui-même une seconde et «jolie» épouse.

 

«Tradition». Le comble a été atteint pourtant quand Ramzan Kadyrov a justifié une récente série d'assassinats de femmes, soupçonnées d'avoir «perdu leur morale». «Si une femme traîne et si un homme traîne avec elle, les deux doivent être tués», a-t-il lancé selon les journalistes qui l'accompagnaient. Timour Aliev, ancien journaliste indépendant devenu conseiller du Président, confirme : «Kadyrov parlait d'une vieille tradition. Quand une femme se comporte de façon amorale, l'homme la tue. Kadyrov a dit qu'il comprend la motivation des gens qui ont tué.» En novembre, les corps de sept femmes ont été retrouvés à Grozny et dans les alentours, toutes abattues de la même façon, d'une balle dans la tête ou dans la poitrine. Les enquêteurs ont très vite déclaré que ces femmes menaient «une vie amorale» et que leurs parents pourraient les avoir ainsi punies de leur débauche.

 

Dans un premier temps, Ramzan Kadyrov avait exhorté à «ne pas se cacher derrière je ne sais quelles traditions» et rappelé que «rien ne peut justifier les actes des tueurs». Mais sa conception ultratraditionaliste du rôle de la femme est aussi bien connue. Dans ses nombreuses interviews, il a déjà longuement expliqué que la femme est faite pour enfanter et élever les futurs héros tchétchènes. «La femme doit connaître sa place», expliquait-il en mai à la plus célèbre des blondes russes, Ksenia Sobtchak, qui l'interviewait pour le magazine GQ.A l'époque déjà, Kadyrov se plaignait de la débauche des femmes tchétchènes : les plus belles «se ruent à Moscou», «on les vend pour 500 roubles [10 euros, ndlr] sur la rue Tverskaïa, dans les clubs…» dénonçait-il. Elles ramènent ensuite en Tchétchénie «toutes sortes de maladies», s'indignait-il. «Je suis contre le fait que nos filles aillent à Moscou, s'habillent vulgairement, fréquentent des restaurants chers», assénait-il encore.

 

Ramzan Kadyrov est soucieux «d'assainir la société tchétchène après la guerre», plaide son conseiller Timour Aliev. Ce retour aux préceptes de l'islam est aussi une façon de combattre les «wahhabites», intégristes qui tentent de s'implanter au Caucase russe, assure Kadyrov lui-même. «Ils disent que chez nous au Caucase du Nord, les canons de l'islam ne sont pas respectés», rapporte le président tchétchène, expliquant qu'il leur retire leurs principaux arguments.

 

Diversion. Les rares opposants qui osent encore s'exprimer en Tchétchénie, sous couvert d'anonymat, soupçonnent Kadyrov de chercher surtout à renforcer son autorité personnelle, et faire diversion aux problèmes plus sérieux de la République : les disparitions et assassinats qui continuent, la soumission à Moscou ou la crise économique. Au sujet des sept femmes assassinées, le journal Novaïa Gazeta a suggéré aussi une toute autre version : l'entourage de Kadyrov même se livrerait à des «orgies sexuelles» lors desquelles un de ses «commandants» aurait attrapé le sida, qu'il a ensuite transmis à ses deux épouses. Les femmes assassinées auraient été ses partenaires sexuelles, soupçonnées de l'avoir contaminé. Sans confirmer cette version, un défenseur des droits de l'homme atteste : «Ce qui est sûr, c'est que les fonctionnaires de Kadyrov ont des appartements qui servent de bordels.»

 

Au moins deux des femmes assassinées, Kouban et Madina Elsaeva, 34 et 36 ans, n'étaient pourtant certainement pas des prostituées. Mariées et mères de deux enfants chacune, elles ont été enterrées dans les villages de leurs époux, ce qui dans la tradition tchétchène est un signe de «grand respect et de confiance de la part des familles des maris», rappelle Natacha Estemirova, directrice du centre Memorial à Grozny. «Si elles ne s'étaient pas bien comportées, elles auraient à coup sûr été enterrées ailleurs». Un autre défenseur des droits de l'homme avance une variante : ces femmes auraient été témoins de crimes ou de débauches particulièrement odieux, et éliminées pour qu'elles ne parlent pas. Trois mois après le crime, l'enquête n'a toujours rien donné"



10/03/2009
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