Jean-François KAHN : N'ayez Pas Peur !
Je vous livre l'édito de Jean-François Kahn, dans le dernier numéro de Marianne.
N'ayez pas peur !
Ce formidable et enthousiasmant combat qui attend les républicains.
Le temps est venu de regrouper sans exclusive, tous ceux qui entendent s'engager dans la résistance à la régression. Pour reconstruire la République.
Président ! Sans e. Destin accompli ! Nicolas Sarkozy a assis sa large victoire sur trois phénomènes : le retour au second tour, d'une bipolarisation manichéenne qui a coupé le pays en deux blocs quasi irréductibles; deux France en quelque sorte, radicalement différentes l'une de l'autre, l'une plus jeune, plus active et novatrice (il fut un temps où l'on parlait de "forces vives"), plus diverse et plurielle, sans doute plus "moderne" - encore que le concept soit ambigu – l'autre plus homogène, mieux ancrée, plus inquiète, plus légitimenent préoccupée par la question des "valeurs" et portée par un fort désir de sécurité, d'autorité. Or, le vieillissement de la pyramide des âges jouant son rôle, la seconde France, trop ignorée par la première, a pris sa revanche et l'a, en quelque sorte, bousculée.
Pour mobiliser cette France-là, Nicolas Sarkozy a réussi une martingale d'enfer : être quasi unanimement soutenu par la France d'en haut (et plus encore par la France de tout en haut) en mobilisant, cependant, en sa faveur une très large majorité de la France de tout en bas. Le ralliement massif de l'életorat du Front national au candidat UMP a amplifié ce phénomène. Ce sont les classes moyennes, au sens très large, qui ont constitué l'essentiel du camp du refus. Enfin, et surtout, ce scrutin a pris la forme, dans la dernière ligne droite, d'un référendum dirigé contre "l'héritage de Mai 68", du moins contre l'didée que l'opinion s'en fait, compte tenu de ce que les héritiers en on fait.
Autocritique : j'ai toujours été convaincu que Nicolas Sarkozy, contre la gauche, l'emporterait. Ce pourquoi, à titre personnel, outre mon accord avec la démarche "centriste révolutionnaire", j'étais convaincu que seul François Bayrou était capable de le battre. Ce pendant, alors que nous n'avons cessé, dans Marianne, de mettre en garde contre les terribles dégâts provoqués par une "réthorique post-soixante-huitarde devenue l'idéologie officielle-pensante" (et Dieu sait qu'on nous l'a bien reproché) et , en particulier, contre la façon dont on a systématiquement substitué le sociétal et l'humanitaire au social et à l'identitaire, nous avons, malgré tout, légèrement sous-estimé la puissance du rejet.
Et maintenant ? Après un roi bourgeois, une mornarchie impériale ? Ni Chirac, ni Mitterrand, ni Giscard n'avaient réuni, en effet, d'emblée, autant de pouvoirs entre leurs mains. Est-ce à dire que la situation est totalement déséspérante ? Eh bien, non ! Tout au contraire, il y a rarement eu autant de raison d'espérer.
D'abord, paradoxalement, il y a le résultat de cette élection. Qu'on y songe : malgré le rouleau compresseur médiatique, malgré Télé Poutine et Radio Moscou, malgré la capitulation en rase campagne de la quasi-totalité des élus UDF, malgré les inombrables reniements et trahisons, malgré la terrible efficacité du parti UMP qui incarne l'ordre établi, malgré le talent carnassier du candidat populiste, soutenu par l'ensemble de la majorité sortante, qui a su préempter les thèmes -ô combien porteurs – de la guerre contre les voyous et de la réhabilitiation du travail, et, en comparaison, le peu de charisme tribunicien de celle qui lui était opposée, malgré les coups de poignards dans le dos, les sabotages à répétition, lâchages en série que celle-ci n'a cessé de subir , malgré Laurent Fabius, malgré François Hollande, malgré Lionel Jospin et ses amis Claude Allègre et Eric Besson, malgré les stupidités de l'ultragauche, malgré la pusillanimité des démocrateés et le déculottage des notables centristes, malgré la lamentable autodissolution du gaullisme véritable, malgré le pathétique suicide de Dominique de Villepin, oui, malgré tout cela, le front républicain spontané, improvisé en catastrophe par la base, a rassemblé près de 17 millions d'électeurs, plus que François Mitterrand en 1981, 46% des suffrages, soit 10% de plus que l'électorat dit "de gauche" du premier tour. La grande majorité des villes de plus de 30 000 habitants, y compris celles gérées par la droite (Rouen, Bordeaux, Amiens, Saint-Etienne, Toulouse, Le Havre, Alençon, Caen, Périgueux, Laval, Brest...), ont refusé Sarkozy ainsi que massivement des moins de 45 ans, et une majorité d'arrondissements parisiens.
Maintenant donc, tout commence. Faute qu'une salvatrice coalition ait pu officiellement prendre forme, la bataille pour éviter que la France revive l'une de ces expériences régressives qui ont, hélas, jalonné son histoire a été perdue. Mais ce n'est ni décembre 1841, ni juillet 1940 ! Les perspectives qui s'ouvrent devant les républicains et les démocrates, les humanistes, les progressistes et les patriotes de ce pays, au-delà même de leur vote d'un jour, sont désormais meilleures que ce que nous pouvions craindre, encore, il y a un an.
D'abord, parce que la base a d'elle-même imaginé et, du coup, va exiger la constituion d'une grande allaince démocratique et républicaine, il faudra bien que les "sommet" sclérosés s'y résolvent. Or cela passe par un "coup de balai", comme dirait le Point, mais pas tout à fait celui que notre conservateur confrère appelle de ses voeux. C'est, en effet, toute la vieille "bullocratie" gaucho-socialiste, sociale-démocrate, centriste, archéo-gaulliste qu'il faudra faire exploser, pour permettre qu'une nouvelle génération, non comptable des échecs programmés par l'ancienne, porte les aspirations et les espérances trop longtemps trahies. Recommencer avec les mêmes est désormais inconcevable. Ceux et celles qui ont tout à fait, depuis des années, par sectarisme, enfermement partisan ou égotisme clanique, pour empêcher toute victoire qui ne conforterait pas les seuls intérêts de leur écurie (et qui, dès le soir du 6 mai, se sont encore distingués), ne devraient-ils pas être écartés ? Aujourd'hui, on peut, enfin, y croire : ils le seront ! Sans quoi le peuple républicain finira par les chasser.
D'ailleurs, si le scrutin présidentiel ne nous avait apporté que cette bonne nouvelle, gré tout, chaudement s'en féliciter : quel heureux netoyage, quel bénéfique lessivage, en effet ! Le camp républicain, qu'il soit de gauche, centriste ou social-gaulliste, portait, hélas, en son sein sa propre cargaison de médiocres, de fripouilles, de faux jetons, d'arrivistes sans principes et sans scrupules, d'affairistes imoraux, de filous, de félons en herbes. Or – ô merveille ! Ô jours bénis ! - beaucoup (pas assez, mais beaucoup) ont quitté le navire. Du moins les plus emblématiques : Bernard Tapie, Claude Allègre, Jacques Séguéla, André Santini, Gilles de Robien, Pascal Sevran, André Glucksmann, Miche Charasse (enfin espérons-le !), les ex-tonton-maniaques impudiques, les ex-maoïstes allumés, les plus molllassons du centrisme de compromission, les plus facilement à vendre du gaullisme de brocante... Même Denis Tillinac, l'ami de Chirac, s'est jeté dans les bras de son assassin !
Sans doute, des pieds palmés, il en reste encore pas mal dans le camps démocratique, tels Georges Frêche et autres cacique du socialisme de prébende ou du centrisme de gamelle. Mais est-ce que, dans nos rêves les plus fous, on aurait imaginer un tel début de blanchiment clarificateur : vive les outing qui font tomber les masques !
Et surtout,l'objectif à atteindre est désormais accessible : regrouper, sans aucune exclusive, tous ceux qui entendent s'engager dans la résistance à la régression. Pour reconstruire la République ! Pour ce faire – nul ne l'ignore plus – il faudra dissoudre la PS. Ce PS d'en haut a failli, ne serait-ce qu'en organisant la défaite de sa propre candidate et en déracinant le courant progressiste de sont terreau populaire. Il ne s'agira pas de transformet le PS en un parti soial-démocrate de papa, concept obsolète datant du XIXème siècle, et cela au moment où, presque partout – Pays-Bas, Danemark, Israël, Grande-Bretagne, Japon -, cette social-démocratie fait faillite, mais de faire en sorte...
que naisse, demain, sur les ruines du PS, une vraie gauche socialiste à côté d'un grand parti démocrate humanite ouvert sur les républicains modérés;
que ces deux mouvances sachent, quand la défense de la Républiqe et de la démocratie, fédérer leurs forces;
que les gaullistes authentiques, les chrétiens-sociaux, les libéraux de progrès soient intérgrés à ce front;
que les gauches dites, bêtement, "antilibérales", tirant la leçon de leur débâcle, rompent avec le sectarisme d'enfermement et l'archaïsme d'un discours devenu inaudible à force d'être mécanique, pour réintégrer le front républicain;
que l'on renonce aux vieux dogmes qui transforment les idéologies les plus émancipatrices en religions aliénantes, mais aussi aux vieux refrains libertaires - on ose à peine dire "post-soxante-huitards" - qui ont tant contribué à précipiter des millions de travailleurs pavres dans les bras de la droite régressive;
que l'on aborde, enfin, sans tabou, sans dénégation, sans autoculpabilisation, la question des insécurités et celle de la maîtrise des flux migratoires qui sont devenues cruciales;
que la question de la revalorisation salariale du travail – et de sa reconnaissance comme "valeur" essentielle – soit enfin mise au coeur d'une politique économique à refonder elle aussi. Voilà qui implique la réhabilitiation de l'idée de plein-emploi;
que l'on intègre toutes les "forces vives", commerçants, artisans, indépenants, agriculteurs, mais aussi vrais entrepreneurs créateurs de richesses, au combat pour réhumaniser une société que l'hypercapitalisme financier détruit et déshumanise;
que l'on renverse, enfin, la dictature médiatique, dont on a pu, ces derniers mois, constater, comme jamais, les méfaits, en soutenant à la fois les combats émancipateurs des rédactions, l'action résistante des confrères qui ne se coucheront pas et la révolte libératrice des usagers !
Oui, tout cela est devenu possible. Contre certaines tentations néopétainistes, telles qu'elles se sont exprimées dans le discours de Bercy, le combat républicain sera formidable. Mais aussi enthousiasme.
N'ayez pas peur !