Cela se corse pour Calvin
voici les dernières nouvelles du front corse.
A propos de la collègue de mathématiques du Fiumorbo (plaine orientale) accusée de fraude au baccalauréat pour avoir remonté une note d'un point: elle a bien été entendue mercredi par le juge, celui-ci ne change pas d'avis et maintient son chef d'inculpation, donc des actions de soutien sont possibles dans toute la Corse à partir de la semaine prochaine. Dont blocages de lycées. A voir donc.
Pour rajouter à la complication, un collègue a eu un problème en cours d'EPS: un gamin que j'ai eu l'an dernier et qui est désormais en première S n'a pas sa tenue d'EPS et refuse les exercices de la séance (course à pied). Le professeur l'engueule puis, dans la gestion des autres élèves de première S et ES, le perd de vue un instant. Il le retrouve quelques minutes après revenant de la cafétéria, une cannette à la main (pour rappel, nous sommes le seul lycée de France avec une cafétéria privée à l'intérieur des murs). Il lui demande d'aller en permanence, l'élève y va, en fait le collègue voulait qu'il aille chez les cpe: il rectifie son ordre et accompagne l'élève, qui se montre réticent. Mon collègue le saisit alors par le bras. Le gamin proteste et se met à insulter son prof d'EPS. Qui lui enjoint de se taire, puis, le gamin n'obtemptérant pas, lui dit: "Ta gueule! Ca, au moins, c'est un langage que tu comprends!" Une fois le gamin remis aux deux cpe du lycée, mon collègue repart donner son cours aux autres élèves.
Les parents sont avertis, demandent un rendez-vous avec le collègue. Celui-ci a déjà reçu la mère en salle des profs il y a quelques semaines (j'étais témoin); il demande cette fois-ci à les recevoir mais dans le bureau des cpe.
Ce qui a lieu, en début d'après-midi. Sauf que le père du gamin en vient à menacer le collègue par prétérition ("ce ne sont pas des menaces mais si ..."), puis à lui barrer la route quand mon collègue, voyant que le dialogue est impossible, préfère s'en aller et laisser la cpe conclure.
Du coup, ce matin à 10 heures, réunion en salle des profs: nous voulions savoir ce qui s'était passé et décider, en fontion, d'une démarche. Une lettre a finalement été rédigée, pour diffusion auprès des délégués de parents, rappelant que les propos menaçants n'ont pas lieu d'être dans une enceinte scolaire. Cet élève s'appelle Alfonsi, je l'ai eu l'an dernier sans aucun souci alors même que je ne le ménageais pas; son oncle a été tué en sortant d'un bar d'une chevrotine en pleine poire; le clan Alfonsi peut impressionner par ici, de par sa proximité avec les "milieux" (grand banditisme mâtiné de nationalisme).
Sur ce, je sors: j'ai déjà perdu une heure de cours avec mes terminales S, pour la deuxième heure est prévu un contrôle, je quitte donc la salle des profs un peu après 11h, quand la lettre a été rédigée. Je me fais alors accoster par un terminale ES qui me reproche l'interdiction que je lui ai signifiée une heure plus tôt d'entrer dans la salle des profs; je lui réponds brièvement, puis poursuis mon chemin, j'ai autre chose à faire qu'à psychanalyser un adolescent de 17 ans qui se voit opposer une refus devant ses camarades; il aggripe alors le revers de mon manteau. Très posément, je lui rappelle qu'il n'a pas à porter la main sur un enseignant. Mentalement, je me répète que je n'ai pas le droit de frapper un élève (et puis, je ne suis pas sûr de gagner; et puis, même si je gagne, ce serait une défaite de ma part). Il sort sa grosse bêtise (cf. rapport joint), tellement grosse que j'ai cru qu'il me récitait un passage de l'Enquête corse (quand le personnage La Fouine qui racquette des pinzutt' proclame "Je vais partout où je veux en Corse, je connais tous les chemins de mon pays" juste avant de finir dans un arbre) ; rapidement, un collègue de maths, corse, arrive et le saisit par le bras pour l'écarter; une pionne (corse) a assisté à la scène et apparemment l'envoie au bureau des cpe, juste attenant. Estimant que ce n'est pas grand chose, davantage préoccupé par l'évaluation de mes TS, je poursuis mon chemin jusqu'à la salle et commence à faire plancher mes gamins. Sauf qu'une collègue, de maths encore, vient me voir, comme quoi je dois descendre au bureau des cpe, à cause de ce gamin.
Au bureau, celui-ci se fait remettre à sa place par deux pions, corses, la cpe, corse, (dont un remontage de bretelles en corse; j'ai compris le propos sans comprendre tous les mots), la proviseure adjointe, corse, sa professeur principale (pinzutt' comme moi). J'étais en fait le plus zen dans la pièce, la pratique des arts martiaux doit aider. Proche des larmes, le gamin s'excuse puis s'engage à renouveler ses excuses immédiatement après, devant toute sa classe. Ce qu'il a fait, comme en témoigne ma collègue de maths, franco-russe mariée à un Corse (ça me fait sourire de préciser cela). Et moi de rédiger un rapport suite à cet incident, en surveillant mes quelques élèves de TS qui n'avaient pas fui le lycée entre 10 et 11 pour échapper à mon évaluation sur la décolonisation.
Je pense que le gamin a mal vécu de s'être fait refoulé, qu'il a ressassé son amertume avec ses copains et sa petite copine pendant tout une heure alors que nous étions en réunion et que, pluie diluvienne oblige, les élèves étaient concentrés dans le hall. Il s'est monté le bourrichon, ce qui nous est tous arrivé à l'adolescence ou après. "Much ado about nothing" disait Shakespeare, beaucoup de bruit pour rien.
Demeure la question: aurais-je agi de même sur le continent? Je ne pense pas, j'aurais été plus agressif, physiquement et verbalement; alors qu'ici, j'ai calmé le jeu quand il m'a interpellé. L'avantage, ici, c'est que l'administration me soutiendra plus que l'équivalente sur le continent. L'inconvénient, c'est qu'ici les clans peuvent poser problème. Même si, en l'espèce, l'élève n'est pas corse: son père est sarde et sa mère, une pinzutt', donc sa famille ne constitue pas une menace hors du lycée. Il a reconnu lui-même que son invective n'avait pas de sens dans sa bouche; mais de toute façon, même un pur corse n'a pas à tenir ces propos. Si besoin était, j'ai le soutien de beaucoup de collègues. Mais de toute façon l'incident n'est pas grave, il est surtout symptomatique de combien les esprits peuvent s'échauffer en milieu insulaire par un jour de pluie.
Lundi, journée de la nation corse: pas de cours après 10 heures du matin, les élèves présents (beaucoup ne viennent pas le 8 décembre) auront des ateliers mettant en valeur la culture corse. Et, là, ils pourront se promener partout ... ou presque: la salle des profs reste un sanctuaire interdit aux élèves, même pour les AOC.
"Le vendredi 5 décembre 2008, à partir de la récréation de 10 heures, s’est tenue en salle des
professeurs une réunion des enseignants et d’une partie de la vie scolaire. Pour que cette réunion
se tienne au calme, je vais fermer la porte de la salle. Je vois alors trois ou quatre garçons de
terminale ES qui s’engagent dans le couloir menant à cette salle des professeurs. Je leur dis
« Non », en faisant de la main le signe de reculer pour sortir du couloir et rester dans le hall
couvert. L’élève en tête semblant vouloir continuer, j’insiste sur mon mouvement de la main en
disant « Non, tu sors ».
Quelques minutes après la sonnerie de 11h, la réunion touchant à sa fin, je quitte la salle des
professeurs pour rejoindre la salle 117, mes élèves de terminale S ayant une évaluation. Je suis
alors accosté par ce dernier élève de terminale ES, dont j’apprends par la suite qu’il s’appelle
Pierre-Jean Pinna
. Il me reproche les mots que j’ai prononcé à son égard, notamment le recoursau tutoiement et l’interdiction de venir en salle des professeurs. Je lui explique alors que puisqu’il
y avait une réunion, je ne voulais pas qu’ils entrent. Il me rétorque alors : « Je vais où je veux, je
suis chez moi ici ». Je conteste alors cette affirmation, il me coupe et élève la voix pour me dire :
« Oui, je suis chez moi en Corse, je vais où je veux ». Je conteste à nouveau puis cherche à
poursuivre mon chemin vers la salle 117. Il saisit alors le revers de mon imperméable. Je lui fais
remarquer qu’il n’a pas à me toucher. A ce moment-là, un collègue le saisit par le bras et l’éloigne
de moi en lui enjoignant de se calmer."