Le Tirailleur Républicain

La question nationale au XIX° siècle, de P. Cabanel

 

Il y a bien longtemps que la Tirailleur ne vous a point servit de soupe intellectuelle...et pour cause, pour une fois qu'il a du boulot...

Mais au diable la paresse et la fatigue, il s'est levé tôt ce matin pour répondre aux attentes de ces ouailles et parler un peu d'un ouvrage fort instructif qu'il a eu le plaisir de dévorer l'an dernier : La question nationale au XIX° siècle de Patrick Cabanel, aux éditions Repères.


Ce pti bouquins destiné avant tout aux étudiants est parfait pour se remetre en tête mes aspirations des peuples de ce XIX° romantique...


Pour commencer, une belle citation de Paul Valéry :


« Ce n'est pas jamais chose facile que de se représenter nettement ce qu'on nomme une nation. Cette idée nous est aussi familière dans l'usage et présente dans le sentiment qu'elle complexe ou indéterminée devant la réflexion. Mais il en est ainsi de tous les mots de grande importance. Suivant qu'elles se comparent les unes aux autres sous les rapports ou de l'étendue, ou du nombre, ou du progrès matériel, ou des moeurs, ou des libertés, ou de l'ordre public, ou bien de la culture et des oeuvres de l'esprit, ou bien même des souvenirs et des espérances, les nations se trouvent nécessairement des motifs de se préférer. Dans sa partie perpétuelle qu'elles jouent, chacune d'elles tient ses cartes. Mais il en est de ces cartes qui sont réelles et d'autres imaginaires. Toutes les nations ont des raisons présentes, ou passées, ou futures de se croire incomparables ».

 


 

Elle résume l'esprit du livre qui va tenter de nous montrer la genèse particulière de telle ou telle nation du XIX°, avec un point commun qui est « la construction », alors qu'au contraire les nations s'élaborent d'elles mêmes pensait-on...


Des mots et des idées de la nation : on y redécouvre les définitions traditionnelles du terme, les rapports avec le chauvinisme, les conceptions française et allemande radicalement opposées, les positions philosophiques et l'idée de la « nation-contrat » avant d'aborder la conception ethnographique de la « nation-génie » pour conclure sur l'idée que les nation « construisent leurs représentations dans « des miroirs inversés »...


Cultures, langues et nation : ou l'invention du concept romantique de la nation, un des passages les plus démonstratifs du livre où l'on s'aperçoit que la construction nationale passe avant tout par la langue...d'où la réinvention de certaines langues pour des besoins politiques...car elle était, elle est et sera toujours un instrument d'identification au groupe...plus ou moins élargit.


Religion et nation : où l'auteur fait état des différentes oeuvre de nationalisation de la religion...elle aussi vecteur important d'une identification restrictive à un même groupe d'êtres unis et réunis par ce fondement religieux, combattant un adversaire identifié du fait même qu'il n'appartient pas au même groupe religieux.


Société, économie et nation : où l'auteur analyse la sociologie des comportements de nationalisme économique.


Le mouvement des nationalités jusqu'en 1871, un bilan ambigu : liste et histoire très classique des aventures italo-allemande...


Les nationalités dans les empires multinationaux : et l'impossible « patriotisme autrichien » où l'on met en valeur la dualité entre nationalisme étatique et impériale qui englobe, centralise et rassemble; et le nationalisme classique, balkanisan dirons-nous. Tout y passe, de l'Empire austro-hongrois au panslavisme, de l'Etat-Nation hongrois au marxisme, de l'Empire des mille nation (Empire Ottoman) à la nation juive au XIX°... Fort passionnant...


La construction des États-nations : avec une étude sociologique présentant les caractéristiques constitutives de ce terme définit par Weber notamment : le vote, la conscription, le sport, l'école et la langue bien sur, mais aussi les « livres de la nation » et la question du régionalisme.


Le nationalisme des nationalistes : fins de partie, 1885-1914 : débutant par un rappel des « grands nationalistes » français d'alors (Barrès, Maurras, Péguy), enchaînant avec les questions naissantes sur les « frontières intérieures » et son ferment xénophobe...


On arrive donc à la conclusion en affirmant tout doucement mais sûrement que la 1ère Guerre Mondiale fut « le tragique couronnement d'une certaine idée de la nation », principe des nationalité sur le plan international et sur le plan intérieur, achèvement de la nationalisation des citoyens « par le partage de la vie au front et de la mort en masse »...et l'auteur cite Bénito M. (ce fin tacticien comme dirait Xabi) « Seule la guerre peut faire les Italiens dont parlait D'Azeglio ». On distingue également au loin les germes des futurs génocides et autres purifications qui vont avoir lieu « dès lors que l'on entend confondre trop étroitement frontière politique et frontière nationale. Grecs et Turcs le montrent assez, de 1912 à 1922, en échangeant, sous la pression d'une idée de la nation vieille de pas même un siècle, des populations qui cohabitaient quelquefois depuis des milliers d'années ». Ainsi il est normal qu'en ce début de XXI° siècle, l'on en viennent à regretter la bonne vieille synthèse républicaine et son indispensable corollaire, l'école laïque ! Car même si ce modèle n'est pas exempt de tout reproches, cette idée qui oscille entre « diversité et homogénéité, volontarisme d'Etat et libre désir d'assimilation » vaut toujours d'être méditée !



25/01/2008
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