Le Tirailleur Républicain

"A droite toute" de Eric Dupin, ou la droitisation des sociétés occidentales

 

« Et si la France de 2007 était à droite comme rarement elle l'a été ? Le sens de l'histoire s'est retourné. La droite ne se bat plus dos au mur contre un progressisme conquérant. Portée par le dogme libéral et la vague de la mondialisation, elle cherche à remodeler la société. Nicolas Sarkosy incarne cette nouvelle droite française, postnationale et débarrassée de ses anciens complexes. La force du candidat de l'UMP est de se situer au croisement des trois traditions de la droite distinguées par l'historien René Rémond. Sarkosy est « orléaniste » par ses convictions libérales, « bonapartiste » par son autoritarisme et « réactionnaire » dans son approche de la société ».


Voici ce que l'on trouve en quatrième de couverture du livre choc de la rentrée politique de 2007,  A droite toute  d'Eric Dupin. Le Tirailleur a vite été attiré par la lecture de cet ouvrage, alors qu'il dédaigne pourtant s'arrêter sur les livres polémiquo-électoraliste en général. Toutefois, celui-ci est bien particulier. En effet, l'auteur, ancien journaliste politique à Libération et proche du PS, est également imbu de sciences politiques, ce qui ne gâche rien à l'affaire, et il nous livre une fine analyse sur ce qu'il appelle la « droitisation des sociétés occidentales ». Mon objet a travers de cet article, sera de résumer et de commenter au mieux les analyses d'Eric Dupin, qui je vous l'avoue, m'ont terriblement convaincu, en cette période de « doute » électoral (pour ne pas dire de désespoir...). Comme d'habitude, cela va être un poil long, mais cela ne vous épargne en rien le plaisir de lire en entier cet ouvrage remarquable et remarqué !


Introduction : Vers la grande alternance ?


Tout est dans le titre, depuis 25 ans, les français n'ont cessé de désavouer systématiquement le camp au pouvoir à chaque élection décisive (sauf en 95, mais finalement...Chirac était alors une alternative au conservatisme de Balladur...).

L'auteur met de suite après les pieds dans le plat en mettant en exergue le candidat de a droite : Nicolas Sarkosy, dont le discours et le vocabulaire de « rupture tranquille » témoigne des opérations stratégiques de la campagne présidentielle. Poursuivant sur le même thème, il montre du doigt le « virage social-national » du candidat ces derniers mois. Pour lui, c'est en effet une nécessité de conquérir tout l'électorat français. Pour cela, il va se transformer quelques instants en Max Gallo et remettre le discours de la Nation, et celui de la République au premier plan (Nîmes le 9 mai 2006 et le 12 octobre à Périgueux). Rebelotte pour le côté social de Sarkosy qui veut casser son image « droitière ». Finalement l'auteur en vient à le comparer à une sorte de « nouveau Chirac » dans le sens ou il est forcé de chercher les voix où elles se trouvent : à gauche, ce qui est paradoxal puisque selon lui la société française, comme d'autres, penche fortement à droite !


La droite maudite


Le chapitre suivant cherche à faire l'Histoire de la droite ou plutôt des droites, et montrer en quoi elles furent longtemps maudites.

Il souligne tout d'abord que la plupart des droites peuvent être considérées comme d'ancienne gauches, puisque depuis la Révolution, « c'est à gauche que naissent sans cesse les forces nouvelles. Sont ainsi apparus, dans l'ordre chronologique, les républicains, les radicaux, les socialistes et enfin es communistes ». Il précise aussi que la droite a mauvaise réputation, celle de défendre en priorité les privilégiés, étant d'essence réactionnaire.

Il montre également ce qu'il nomme le « traumatisme révolutionnaire », car la 1ère droite s'est d'abord définit comme anti-révolutionnaire : les Légitimistes. Par contre, les autres droites qui lui ont succédées : Orléaniste, Bonapartiste (sauf que pour moi le Bonapartisme est autant de gauche que de droite...na!) sont nées à gauche de l'échiquier politique. Il fait brièvement leur Histoire. Il parle ensuite de cette droite « anti-républicaine » finalement défaite en 1871, avant de parler de « droite discréditée ».

Il termine le chapitre en parlant de la « captation gaulliste », pour mettre en valeur le fait que le Gaullisme était un mélange paradoxal entre valeurs de droite et préoccupations sociales, transcendant finalement la division droite-gauche, reprenant une sorte de bonapartisme latent de la population française. En fait, il reprends les termes de Jean Charlot en affirmant que le « gaullisme, pour l'essentiel, est un nationalisme ». Il revient en bref sur « sa mort », en affirmant que le gaullisme a été « poignardé » par la droite orléaniste...de Giscard... .

Il conclu ainsi :

« Le complexe d'infériorité de la droite française s'enracine profondément dans l'histoire nationale. L'illégitimité de son opposition à la fondation révolutionnaire de la République, prolongée par une hostilité à ce régime tout au long de XIX° siècle, l'a placée en situation de faiblesse symbolique. La honte de la compromission de ses élites sous le régime de Vichy a ravivé son discrédit, avant que le règne gaulliste ne la submerge. S'ouvre ensuite une tout autre période où la droite française, progressivement dépouillée de l'héritage gaullien puis radicalisée par l'épreuve de l'opposition, oses enfin s'affirmer au grand jour ».


La droite retrouvée


L'arrivée au pouvoir de Pompidou représente un réelle transition vers un conservatisme incarnée ensuite par Giscard...rendu possible par le ralliement d'un certain gaulliste, Jacques Chirac en 1974, qui trahie alors le « gaulliste historique » Chaban-Delmas, « et ce ne sera pas le dernier mauvais coup chiraquien porté au gaullisme ». Mais l'accalmie ne dure pas et dès 1976 « la guerre des deux droite est déclenchée » entre Giscard et Chirac, alors coaché par Garaud, mais le poulain des gaullistes va tous les tromper....(p.45/46, Chirac disant à un ami en 1962 : « J'ai hésité entre l'OAS et Pompidou. Désormais, j'ai choisi Pompidou. Je le servirai fidèlement et loyalement. Mais le gaullisme, je m'en fous. Ce n'est pas mon affaire, ce n'est pas ma génération. »!!!).

Survient donc ce que Eric Dupin appelle « l'accouchement chiraquien » après sa traitrise de 1981 envers Giscard. Dès lors, fortement influencé par les politiques libérale de Reagan puis de Tatcher, les leaders de droite vont multiplier les profession de foi libérales : « Il faut un libéralisme absolu pour nous inciter à faire concrètement aujourd'hui le libéralisme nécessaire » osait affirmer Jacques Chirac...oui oui, le même qui dans son « Mémorial » de l'Elysée racontait a Pierre « Las Cases » Péan, que le communisme et le Libéralisme était des déviances de la pensée humaine.!?! Pour conclure cette période, Dupin ne saurait omettre de dire un mot d'un « inclassable », c'est à dire de Raymond Barre. Il rappelle ce que disait Rémond à son propos «  C'est l'héritier en titre du gaullisme qui tient le discours le plus libéral et le candidat investit par les formations les plsu proches du libéralisme qui tient le discours peut-être le moins éloigné des idées du général de Gaulle ».

Enfin il met en valeur cette droite retrouvée par le « triomphe balladurien », maître à penser de l'idéologie libérale en France, au pouvoir entre 1986 et 1988, qui le 1er a voulu une unification du « peuple de droite »(cf l'UMP, idée de Balladur et non de Chirac!). Même s'il perd l'élection de 95, ce sont ses idées qui sont mises en pratique par Juppé jusqu'à la dissolution hasardeuse de 97. Evidemment, Sarkosy, conclu l'auteur, apparaît bien aujourd'hui comme l'héritier du balladurisme.


Un nouveau front de classes


Un constat de départ, la gauche est aujourd'hui orpheline de la « classe ouvrière », la « conscience de classe » n'existe plus en tant que telle. Beaucoup plus inquiétant, est ce qu'il appelle « l'ethnicisation des rapports sociaux ». Pour lui, «  les différences culturelles creusent de nouveaux clivages au sein d'un prolétariat désormais composé d'une forte proportion d'immigrés. Ces divisions à ,la fois objectives et subjectives empêchent la classes ouvrière de se considérer en tant que telle ».

Il disserte ensuite sur des statistique prouvant que les milieux populaires ont désertés la droite gaullienne, avant d'être reconquise ces derniers temps par le populisme de Sarkosy. Ce dernier, selon l'auteur, pour récupérer les voix égarées au FN, mettrait en valeur non pas la « fracture sociale » mais bien plus une « fracture ethnique »! Il montre aussi du doigt le discours valorisant « ceux qui travaillent »...contre les profiteurs du système. Ainsi, à l'image des EU, « l'esprit de solidarité recule quand les plus pauvres appartiennent majoritairement à des communautés « raciales » différentes ». Il met ainsi en exergue les similitudes entre les néo-républicains américains de Bush et la droite française qui reprend les mêmes recettes pour s'attirer le soutient du petit peuple. Cette action est efficace, car ils profitent de « l'embourgeoisement des gauches ».


La conquête des esprits


Lui aussi critique la soi-disant « fin des idéologies ». Et oui il existe encore une « guerre des idées », dans laquelle de nombreux penseurs et intellectuels libéraux se sont engagés, tout d'abord des anglo-saxons, puis les français...mais un peu tard! Il en profité pour rebondir sur la « droitisation du monde intellectuel », même s'il relativise. Parmi eux, beaucoup de déçus de la gauche (Finkielkraut, Max gallo, Marcel Gauchet, Luc Ferry, Pierre Nora) même si tous n'en sont pas au même point... . En fait s'est surtout parce que en ce moment, les idées se trouvent à droite, que les penseurs ne s'affirment plus vraiment à gauche :  « La profonde crise de la pensée de gauche est un puissant facteur de droitisation du monde intellectuel ».


Le naturalisme social


« Plus l'égalité est formellement célébrée et moins elle est une valeur effectivement respectée ».

La société toute entière s'individualise, hors c'est une valeur de droite ! Pour la gauche, la société est un tout. Pour la droite, la société n'existe pas en tant que telle, la « droite moderne a tendance à la voir comme un agrégat d'individus ». On peut aller plus loin : « Légitimée par les inégalités de talents individuels, l'inégalité sociale est regardée comme un fait de nature ».

« La République, ce n'est pas l'égalité, c'est l'équité » disait Nicolas Sarkosy...tient tient ! Là réside en fait toute la conception de la société du candidat UMP. Pour ce néolibéral, les inégalités présentent au sein de notre société, seraient légitimées du moment que l'on assure l'égalité des chances. On ne peut pas crier au scandale, toutefois ce n'est pas ce qu'affirme la devise de notre pays...(considération personnelle). S'en suit une argumentation sur les vues éducatives du candidat, (carte scolaire...)qui s'apparentent aux politiques anglaises et hollandaises (catastrophiques).

Enfin le chapitre se termine sur la conquête de « l'aristocratie de l'argent » en dissertant sur les mesures concernant l'impôt... .


L'ordre religieux


La droite, par tradition, est proche des mouvements religieux. Si aujourd'hui, cette conception a évoluée, on peut tout de même souligner que pour le candidat de l'UMP, la religion s'apparente également à « l'opium du peuple », mais à la différence que cet opium rassure et donne un but au peuple. En bref il le calme et permet de conserver l'ordre.


La révolution néolibérale


Le candidat de l'UMP, selon Dupin, devra ménager ses amitiés avec le patronat français s'il veut conquérir les voix populaires.


Le site France


« Mais qu'est-ce que tu crois ? La politique, c'est fini. Cela ne sert plus à rien. Le gouvernement doit faire ce qu'il faut pour que ça n'aille pas trop mal en France. Et le président sert à représenter la France à l'étranger. C'est tout! » disait un beau jours notre Président bien aimé à...François Bayrou.

La droite française, selon l'auteur, a fait son deuil de la grandeur nationale, préférant épouser le « mouvement du monde » : « La place de la nation dans le paysage des idées politiques n'a cessé de bouger en France. Ce concept est né à gauche avec la Révolution. La gauche républicaine a longtemps brandi le drapeau tricolore. La thématique nationale est passée ensuite à droite au cours du XIX° siècle. La gauche s'affirmait comme internationaliste tandis que les conservateurs se regroupaient autour de la défense des valeurs traditionnelles et de l'armée. Aujourd'hui le clivage induit par la mondialisation libérale déporte de nouveau la nation à gauche. La droite se sent mieux en phase avec l'évolution planétaire. Elle devient postnationale ».

Pour en rajouter, Éric Dupin nous parle de « Sarkosy l'américain », l'atlantiste, le pro-israélien, qui est toutefois obligé d'adapter son discours aux dernier tenants du gallicanisme.


L'unificateur Sarkosy


Le « cocktail sarkozien est redoutablement efficace » car c'est « l'homme des trois droites » !

De plus, il s'est habilement servit de la machine de guerre qu'est l'UMP, pour éliminer tous les courants divergeant...sur le modèle de PP de José Marià Aznar !!!

Dans sa course vers les sommets, il n'a guère eu de mal à éloigner ses opposant potentiels, à savoir Dominique de Villepin et Michèlle Alliot-Marie. Le 1er a noyée sa popularité gagnée lors de son discours à l'ONU à cause d'une politique « d'apprenti libéral » et de son échec cuisant du CPE. L'autre, jouant sur ses assises gaulliste, n'a jamais bénéficié d'un grand soutien (ce qui tend bien à prouver que le Gaullisme est mort et enterré!).


Un gauche droitisée


« Le vent de droite qui souffle sur les sociétés occidentales balaie l'ensemble du spectre politique ».

« Les gauches occidentales souffrent d'un profond complexe d'infériorité. Ecroulement du communisme et agonie de la social-démocratie les ont laissées orphelines ».

Et l'auteur met en valeur le « New Labor » de Tony Blair et les « New-démocrates » de Hilary Clinton, ansi que leurs politiques d'inspiration libérale. On n'oublie pas non plus les anciens communistes italiens, qui sous l'égide de Massimo d'Alema et rebaptisés Parti des « démocrates de gauche » parle de défendre les valeurs traditionnelles du libéralisme !!! En Espagne, Zapatero a eu une trajectoire semblable à celle de Ségolène Royale, d'abord minoritaire avec son courant d'inspiration libéral « Nueva Via »... . En Allemagne, le virage à droite a été opéré par le SPD de Schröder dès la fin des années 90...sans grand succès !

Alors le chapitre se termine sous le paragraphe intitulé : « Ségolisme et social-libéralisme ». Il est vrai, dit l'auteur, que les socialistes français se sont longtemps distingués de leurs homologues européens par leur résistance au libéralisme. Mais une fois au pouvoir, cette position a due évoluer ! Puis il nous dresse le portrait de la candidate socialiste, très inspirée du Blairisme (caractère libéral de la société, mais aussi importance de la religion...). Il précise que dans les années 80, elle et son compagnon François Hollande, appartenaient à un petit groupe « courageusement droitier portant l'étiquette « transcourants ». Ils avaient l'ambition de délester le PS de ses lourdeurs doctrinales pour le mettre à l'heure du socialisme libéral. A l'époque ces militants marginaux soutenaient Jacques Delors, qui rêvait de ressusciter une troisième force par l'alliance des modérés de droite et de gauche ».

Il relève le plus gros problème de la gauche française selon lui : « ici comme ailleurs, la gauche inscrit son action dans le cadre mental de l'adversaire. Sa capitulation idéologique, plus ou moins inconsciente en situation de faiblesse ».


Conclusion : la réaction de demain


La gauche est donc devant une impasse qu'elle devra contourner si elle ne veut pas se fondre dans la droite. Pour cela, il va falloir selon l'auteur, reprendre le combat des idées et reprendre l'ascendant intellectuel !

De plus il souligne que la France, si elle fait le choix du néolibéralisme en mai, se retrouvera sans doute elle même « à la ramasse ». En effet, actuellement, aux EU ou en GB, ce néolibéralisme connaît de nombreuses difficultés, et il n'est pas sûre que la conversion tardive de la France lui soit bénéfique.

On ne peut que constater que la droitisation politique s'accompagne d'une droitisation des esprits qui peut-être inquiétante dans la mesure où ce néolibéralisme fait la part belle à l'individualité, dans une période où l'on a peut-être jamais autant parlé de solidarité ! L'auteur nous met aussi en garde contre l'ethnicisation des rapports sociaux et contre la peur générée par l'insécurité...source de réactions de défenses « où l'obsession de l'entre-soi élimine ce qui reste de mixité sociale ».

C'est donc une nouvelle « bataille idéologique » qui s'annonce : « Un nouveau cycle idéologique ne s'ouvrira qu'au prix d'une bataille politique de portée culturelle, pour ne pas dire philosophique ». Selon-lui, débarrassée de la « vulgate marxiste », la gauche devra contester la thèse droitière que « l'homme est un loup pour l'homme », sans pour autant tomber dans le « ninisme utopique » de l'extrême gauche.


L'auteur ne nous livre donc pas de réponse précise quant à l'alternative à la droitisation des sociétés, on peut quand même comprendre que c'est avant tout un combat mental qu'il reste a accomplir.

Les murmures d'Eric Dupin, son blog perso !



03/03/2007
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